La Chine, premier pollueur de la planète

Jean-Jacques Mevel Figaro 26 novembre 2005

Les poissons morts de la rivière Songhua et les habitants de Harbin qui se gèlent un seau vide à la main resteront peut-être comme l'image du mal invisible qui ronge la République populaire : l'«usine du monde», déjà championne des rejets toxiques, est en passe de devenir le premier pollueur de la planète.

La Chine a inscrit la défense de l'environnement dans sa Constitution (dès 1982) et elle ne manque pas de voix – même en haut lieu – pour crier que le pays court à la catastrophe. Mais ces voeux pieux finissent comme beaucoup des beaux discours du parti unique : ils ne pèsent pas lourd face à la course au profit, à l'irresponsabilité des technocrates et à l'inexistence de contre-pouvoir.

La fuite de 100 tonnes de benzène dans la Songhua est un cas d'école. L'accident s'est produit dans une usine du groupe PetroChina, fleuron du secteur d'Etat. Ses dirigeants ne pouvaient ignorer les consignes d'alerte et les mesures d'urgence. Pourtant, neuf jours durant, ils n'ont rien fait et se sont tus. Tout comme les pouvoirs locaux et, pour finir, le gouvernement central.

Il a fallu que la nappe approche de Harbin, métropole de 5 millions d'habitants, pour que la mairie s'inquiète et coupe l'adduction d'eau, en pleine nuit, sans un mot d'explication. Depuis, l'affaire occupe les journaux et agite Internet. Mais, à Pékin, personne n'a encore parlé de sanction, ni cherché à établir une responsabilité. Zhang Lijun, numéro deux de l'Agence chinoise pour l'environnement, justifie le silence «aussi longtemps que le public n'est pas affecté».

400 000 décès liés à la pollution

La nappe de benzène toxique n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan des rejets industriels. Soixante-dix pour cent des fleuves et rivières chinoises sont «extrêmement pollués», de même que 25 des 27 plus grands lacs, selon l'agence Chine nouvelle. Dans l'atmosphère, ce n'est pas mieux. Un tiers du pays est victime de pluies acides dévastatrices. Quatre cent mille personnes meurent chaque année de maladies cardiaques ou pulmonaires liées à la pollution atmosphérique, d'après la Banque mondiale. Le pays, enfin, compte 20 des 30 villes les plus irrespirables de la planète. Pékin, future «capitale verte» des Jeux olympiques, illustre à sa manière le décalage entre la réalité quotidienne et la fiction du discours. En octobre, l'air de la ville est resté celui d'une soufrière trois jours d'affilée. La mairie a fini par déconseiller toute sortie aux enfants, aux vieillards et aux femmes enceintes. Depuis, une mauvaise blague raconte que la finale du 100 mètres «pourrait se courir en moins de 15 secondes» aux J0 de 2008.

A la longue, la stabilité du régime risque d'en souffrir. La mauvaise qualité de l'environnement est la cause numéro un des manifestations «illégales» et autres émeutes qui deviennent le cauchemar de la dictature.

Manifestations de paysans

Au printemps, dans la riche province du Zhejiang, une armée de paysans enragés de voir leurs rizières empoisonnées par les usines avoisinantes a fini par s'attaquer aux forces de l'ordre, envoyant une centaine de policiers à l'hôpital.

L'incapacité – ou le refus – de contrôler les effluents de la croissance vient aussi salir la vitrine «paisible» que la propagande chinoise veut offrir au reste du monde. La Russie se mobilisait hier pour contenir la nappe de benzène sur sa frontière. De l'autre côté du Pacifique, en Californie, jusqu'à 25% des particules polluantes qui obscurcissent le ciel de Los Angeles trouveraient leur origine en République populaire, d'après les autorités américaines.

Sur sa lancée industrielle, la Chine est en passe de se hisser au rang de pollueur numéro un, devant les Etats-Unis. La perspective peut aussi inquiéter les Européens : avec deux mastodontes aussi sales, l'accord qui prolongera le protocole de Kyoto en 2012 risque tout simplement de finir foulé aux pieds.

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